« Transition écologique et glyphosate », par Gérard Kafadaroff
Après Ségolène Royal sous la présidence Hollande, Nicolas Hulot a convaincu le gouvernement et le Président Macron d’interdire le glyphosate, désherbant utilisé dans le monde entier depuis plus de 40 ans sans susciter de problèmes sanitaires ou environnementaux.
Décision surprenante alors que les « mauvaises herbes» (ou adventices) sont, selon la FAO, le principal fléau des cultures vivrières occasionnant chaque année, 95 milliards de dollars de perte dans le monde.
Le prétexte : le classement du glyphosate «cancérogène probable» (groupe 2A) par le CIRC (Centre International de Recherche su le Cancer) le 20 mars 2015.
Peu importe que ce classement aille à l’encontre des avis de toutes les agences sanitaires française (ANSES), européennes (EFSA, ECHA) et internationales y compris l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé), maison-mère du CIRC !
Peu importe que ce classement, identique à celui de la viande rouge (qui elle est consommée), exprime un danger potentiel et non un risque lié à l’exposition de la population à ce désherbant !
Peu importe la vaste étude de cohorte américaine (Agricultural Health Study) publiée le 9 novembre 2017 portant sur 54000 agriculteurs suivis pendant plus de 20 ans qui conclue à l’absence de lien entre exposition au glyphosate et cancer !
Peu importe les surprenantes révélations concernant l’évaluation du glyphosate par le CIRC qui discréditent cette agence à l’origine d’une décision lourde de conséquences pour l’agriculture !
Curieusement ce problème apparemment sanitaire n’a pas été traité par la Ministre de la Santé ! Pourquoi ? Peur de contredire les avis des experts des agences sanitaires ?
Nicolas Hulot aurait-il convaincu le gouvernement et le Président que le glyphosate serait l’obstacle majeur à la transition écologique en agriculture ?
Y aurait-il donc de meilleures alternatives sans glyphosate ? Alternatives chimiques ?
Peu probable de trouver, dans la prochaine décennie et au-delà, un nouveau désherbant offrant à la fois la performance herbicide du glyphosate sur les mauvaises herbes (annuelles, bisanuelles ou vivaces), un meilleur profil toxicologique et écotoxicologique et un prix aussi bon marché.
En outre il serait rejeté par les technophobes anti-chimie de synthèse, plus enclins à accepter une solution dite «naturelle» type désherbant bio ou biocontrôle dont le préfixe à la tonalité très tendance peut faire accepter des performances et qualités inférieures à celles du glyphosate plébiscité par tous les agriculteurs de la planète.
Les alternatives au glyphosate seront pour l’essentiel le retour au travail mécanique.
Même avec l’apport des outils du numérique, de l’agriculture de précision et de la robotique le désherbage sera plus cher, plus long, plus gourmand en carburant et générateur d’émissions de CO2.
Il ne permettra pas de lutter efficacement contre les mauvaises herbes vivaces comme chiendents, liserons, chardons, rumex, … Bien au contraire, le travail mécanique favorisant le développement des mauvaises herbes à rhizomes et multiplication végétative comme le chiendent.
Techniques de conservation des sols (TCS) condamnées ?
Reposant essentiellement sur le semis direct et un couvert végétal en interculture, ces techniques qui commençaient enfin à se développer en France resteront marginales si les agriculteurs n’ont plus accès au glyphosate.
Elles constituent pourtant une technique répondant aux objectifs d’une agriculture durable, «économiquement viable, socialement responsable et écologiquement saine».
Pourquoi ? Parce qu’elles concilient :
– des bénéfices économiques liées à l’abandon du travail du sol, à la réduction de la consommation de fuel et à un gain de temps (les techniques classiques avec labour obligent à retourner 3000 tonnes de terre/hectare, consomment 50 litres de fuel à l’hectare contre 6 litres avec le semis direct).
– des bénéfices agronomiques se traduisant par une amélioration de l’activité biologique des sols (vers de terre, carabes, collemboles,…), de leur fertilité (matière organique) et de la réduction de l’érosion.
– des bénéfices environnementaux, les TCS permettant de séquestrer le CO2 atmosphérique dans le sol, avec un potentiel de séquestration de plus de 10% du CO2 produit par l’activité humaine, soit la quasi-totalité des émissions agricoles.
Mais aussi des bénéfices pour la faune sauvage trouvant plus facilement nourriture et refuge sur des terres avec une couverture végétale permanente.
Doit-on abandonner ces techniques d’avenir parce qu’elles nécessitent d’appliquer avant semis 700 g de glyphosate/hectare/an ? Un désherbant à la toxicité aigüe plus faible que celle du sel de cuisine et peu persistant dans le sol.
L’INRA et les Instituts techniques seront dotés de nouveaux budgets et chercheront à améliorer des pratiques bien connues pour désherber les cultures et limiter la nuisibilité des adventices : rotations variées et de longue durée, introduction de cultures et couverts «nettoyants», culture sous mulch vivant, paillage plastique, … Même combinées et aidées par le numérique et la robotique ces solutions resteront aléatoires, incomplètes, plus chères et moins pratiques à mettre en œuvre.
Dans l’incompréhension de la réalité agricole et peu soucieux de la compétitivité de l’agriculture française, les gouvernements successifs lancent des concepts séduisants (agriculture durable, agriculture à haute valeur environnementale, transition écologique), vite suivis de décisions allant à l’encontre de ces objectifs louables.
Décisions sans analyse préalable de la balance risques/bénéfices, alors que les premières évaluations chiffrent le coût de l’interdiction du glyphosate à 2 milliards d’euros (Ipsos) pour les seules céréales et vigne et 500 millions d’euros pour la SNCF (Fondation Concorde).
Lors du Grenelle de l’Environnement, le maïs transgénique résistant à des insectes (Mon 810) a été interdit sans motif sérieux alors qu’il permettait de supprimer des traitements insecticides, d’épargner les insectes auxiliaires utiles (abeilles, coccinelles, syrphes, chrysopes) et de réduire les teneurs en mycotoxines.
Au moment des Etats Généraux de l’Agriculture, c’est le glyphosate, longtemps considéré comme désherbant de référence, qui est condamné alors qu’il permet de désherber de façon efficace, au moindre coût, sans réel préjudice à l’environnement et qu’il contribue à développer des techniques agricoles participant à la transition écologique.
En visite au Salon de l’Agriculture le Président Macron a tenté de justifier sa décision en comparant sans sourciller le glyphosate à l’amiante ou en déclarant « qu’aucun rapport ne dit que c’est innocent. Il y en a qui disent que c’est très dangereux, d’autres que c’est moyennement dangereux ! », ignorant ainsi les avis des agences sanitaires.
Créer de la valeur pour les agriculteurs par de meilleurs prix de vente c’est bien mais réduire les coûts de production c’est encore mieux pour la compétitivité agricole et les consommateurs.
La France s’affiche comme un pays vertueux pour son agriculture en la privant de l’apport raisonné de la chimie et de la génétique, innovations adoptées par la plupart des grands pays agricoles accusés dès lors de ne pas respecter les normes françaises alors qu’ils sont souvent plus en avance sur des techniques agronomiques d’avenir comme les techniques de conservation des sols.
Qui peut croire que le retour aux anciennes méthodes agricoles, fussent-elles actualisées, soit un gage de meilleure qualité et de sécurité pour les consommateurs et d’un meilleur revenu pour les agriculteurs ?
Une fois encore, confrontation au réel et approche scientifique sont écartés au profit de croyances entretenues par l’écologie politique et technophobe.
Ingénieur agronome, Gérard Kafadaroff est un ancien cadre de l’agro-industrie, fondateur de l’AFBV (Association française des biotechnologies végétales), auteur de plusieurs livres dont le dernier «OGM : la peur française de l’innovation » préfacé par M.Tubiana, ancien Président Académie de Médecine -Editions Baudelaire (version numérisée et actualisée fin 2015)